Éminente chercheuse en physiologie végétale et figure emblématique de l’IAC, Valérie Kagy prend son envol vers de nouveaux horizons. Elle prend sa retraite et quitte l’IAC cette semaine. Sa passion pour la recherche et son investissement exceptionnel ont fait bouger les lignes et ont propulsé les sciences agronomiques calédoniennes sur la scène locale, régionale et internationale. Nous l’avons interviewée pour un dernier regard dans le rétroviseur.
Propos recueillis par Estelle Bonnet-Vidal, le 19 décembre 2023
E. B-V. : Nous nous sommes connues lorsque j’étais chargée de com’ scientifique de l’IAC entre 2013-2016 et pour moi, tu avais une personnalité unique, dotée d’un talent naturel de leader, capable de mener des équipes et des projets innovants, avec un véritable sens du collectif et de l’humain. Comment as-tu vu ton métier évoluer au fil de ta carrière ?
V. K. : J’ai intégré la station agronomique de Pocquereux en 1992, soit sept ans avant la création de l’IAC, en tant qu’ingénieure agronome au sein du Cirad Mandat. Au départ, nous devions avant tout répondre aux besoins des collectivités et des acteurs du monde agricole en innovant dans la diversification fruitière, l’étalement des productions sur toute l’année, l’export et la lutte contre les ravageurs et maladies des cultures. Pour y répondre, cela m’a conduit à étudier les mécanismes physiologiques liés à la qualité des fruits et leur conservation. J’ai soutenu ma thèse de doctorat en 2010 grâce à mes travaux au sein de l’IAC, sur les mécanismes d’adaptation physiologique des mangues. Puis, toujours à l’IAC, nous nous sommes de plus en plus intéressés à l’agrobiodiversité exceptionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Il y a ici des plantes alimentaires que l’on ne trouve nulle part ailleurs. J’ai ainsi travaillé sur la diversité des bananiers du Pacifique, sur les substances naturelles issues de notre biodiversité, dans le but de développer de nouveaux biopesticides. Récemment, nous avons initié un travail de recherche sur Oxanthera spp., un citrus endémique que l’on retrouve dans les zones sèches, afin de mieux comprendre les mécanismes physiologiques d’adaptation au changement climatique. Finalement, pour répondre à ta question, j’ai eu une chance inestimable, l’IAC m’a fait confiance dans la façon d’orienter et gérer mes recherches, tout en répondant aux demandes des collectivités. D’une recherche locale, nous sommes passés à des recherches qui ont suscité un véritable intérêt à l’échelle régionale et internationale, car nous travaillons sur des modèles uniques.
E. B-V : Justement, quelle est ta plus grande fierté en matière de résultats de recherche ?
Sans aucun doute, mes travaux sur la diversité des bananiers plantain de Nouvelle-Calédonie et du Pacifique. Avec mon équipe, nous avons réalisé des analyses génétiques sur près de 200 espèces/variétés régionales et nous avons découvert que la Nouvelle-Calédonie hébergeait une diversité exceptionnelle de bananiers plantain à échelle mondiale, le commerce mondial étant dominé par une seule espèce, la banane Cavendish. Nous avons reconstitué le trajet de cette plante alimentaire en Océanie, depuis son origine en Nouvelle-Guinée, à sa dispersion dans tout le Pacifique Sud au gré des migrations humaines d’île en île. Concernant la Nouvelle-Calédonie, j’ai compris que les pratiques traditionnelles kanak, qui accordent une valeur symbolique importante à certains bananiers dits chef, étaient au cœur du maintien de cette agrobiodiversité. Partout ailleurs, on entend parler d’érosion de la biodiversité, alors qu’ici, au contraire, il existe des pratiques millénaires qui sauvegardent un patrimoine alimentaire remarquable. J’ai adoré ouvrir ce nouveau volet de l’ethno-agrobotanique et replacer l’homme au cœur des sciences de l’agriculture !
E. B-V : Je partage entièrement ton enthousiasme ! Valoriser ces découvertes, avec ta publication dans Plos One en 2016, reste l’un de mes plus beaux souvenirs de communication. La carte du trajet des bananiers plantain en Océanie et de leur relations de parenté a eu un impact considérable. Bravo ! La recherche c’est aussi une aventure humaine. Que retiens-tu à ce niveau-là ?
En 32 ans de carrière, j’ai eu le privilège de travailler avec beaucoup de personnes extraordinaires ! Je garde beaucoup d’expériences enrichissantes et enthousiasmantes. Le personnel de l’IAC, de la direction au personnel technique sur le terrain, est très investi dans sa mission d’appui au développement du pays. J’ai aussi eu la chance de former la jeune génération, leur transmettant les clés pour poursuivre mes recherches. Cette nouvelle génération accorde une grande importance aux valeurs, à la qualité des relations humaines et au développement durable. Ils sont précieux ! Une nouvelle vie m’attend maintenant, remplie de nouvelles passions ! Je remercie tous ceux et toutes celles que j’ai croisés et leur souhaite une carrière aussi riche et passionnante que la mienne !
E. B-V : Merci Valérie ! Nous sommes nombreux à te souhaiter bon vent et te remercier infiniment pour tout ce que tu as apporté à l’IAC et à la Nouvelle-Calédonie !
Un portrait professionnel détaillé de Valérie Kagy est à découvrir ici sur Agripedia.nc